Normalisation comptable en Tunisie
Jusqu’au début des année 90, la comptabilité financière en Tunisie s’était limitée à un ensemble de techniques, procédures et méthodes de préparation des états financiers. Avec l’avènement de l’économie de marché, et les mutations économiques et sociales que la Tunisie a connu durant la dernière décennie du XXème siècle, la discipline comptable ne répondait plus aux besoins de ses utilisateurs. Cet état de fait était la résultante de la présentation des solutions comptables comme étant des vérités absolues, ce qui constituait un frein à l’évolution de la comptabilité.
Le résultat de la réforme du système comptable Tunisien entamé dans le cadre de la réforme du marché financier, devrait permettre l’élimination du préjugé qui veut que la comptabilité soit limitée à une série de techniques. Dès lors, une conscience s’est instaurée que la comptabilité ait de plus en plus d’assises scientifiques. Ces dernières vont lui permettre d’évoluer et de fournir des explications et des solutions appropriées aux problèmes auxquels font face les comptables.
I – Bref historique
Depuis 1968, la Tunisie a entrepris une action de normalisation au travers du plan comptable de 1968 (repris avec quelques modifications du plan Comptable Général Français de 1957). Placé dans un contexte d’économie planifiée, ce plan a continué pendant longtemps à être la référence pour l’élaboration et la publication des états financiers en Tunisie et ce, en dépit des mutations profondes qu’a connu l’économie Tunisienne : Evolution technologique, développement des systèmes de gestion et l’émergence de nouvelles techniques de financement.
Avant 1997, la scène comptable en Tunisie a été marquée par les principaux faits suivants :
- Le plan comptable général de 1968, la législation fiscale et la législation commerciale constituent les principales sources de réglementation comptable ;
- Les documents comptables annuels privilégient la dimension macro-économique (résultat déterminé à travers 4 comptes de résultat et à travers une détermination de la valeur ajoutée) ;
- Les utilisateurs externes de l’information comptable retraitent les comptes de bilans et les comptes de résultat afin de rendre l’information utile à leurs propres besoins. Ils mettent en cause la fiabilité et la pertinence de l’information comptable qu’ils reçoivent des entreprises ;
- La comptabilité était énormément entachée par les dispositions fiscales.
C’est afin de pallier à ces insuffisances, que la Tunisie s’est lancée dans une réforme de son système comptable.
II – Réforme du système comptable des entreprises
La réforme du système comptable Tunisien est venue pour concrétiser les nouvelles orientations économiques, juridiques voire même sociologiques de la Tunisie à l’aube du XXIème siècle. Mais celle-ci a été devancée par d’autres réformes ayant touché l’entreprise et son environnement.
2.1 – Réformes touchant l’entreprise et son environnement
Les différentes réformes ayant touché l’entreprise et son environnement ont couvert les principaux instruments de la politique économique à savoir :
- L’investissement, avec la promulgation d’un nouveau code des investissements (modifié et renforcé par la loi d’investissement de 2016 et la loi d’amélioration du climat de l’investissement de 2019) et couvrant la quasi-totalité des secteurs de l’activité économique et mettant particulièrement l’accent sur l’encouragement des exportations, le développement régional et l’introduction de nouvelles technologies ;
- Le système fiscal, avec l’introduction du système de TVA et l’institution d’un impôt unique sur le revenu ;
- Le marché financier, avec la dynamisation de la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis (BVMT), l’organisation de l’activité des intermédiaires en bourse et l’introduction de nouveaux instruments financiers ;
- Le système bancaire, avec la « libéralisation » des taux d’intérêt ;
- La « libéralisation » du commerce extérieur et des changes, avec la convertibilité courante du dinar et la libération des importations ;
- La libéralisation des prix et de la concurrence.
2.3 – Démarche poursuivie par la réforme
En Tunisie, le Conseil National de la Comptabilité a adopté un raisonnement déductif pour aboutir à un système comptable normatif. En effet, cette démarche suppose les étapes suivantes :
1- Identification des objectifs de la comptabilité financière ;
2- Identification des utilisateurs de l’information comptable ;
3- Identification des besoins des utilisateurs en information comptable ;
4- Identification des données comptables susceptibles de satisfaire les besoins des utilisateurs.
Les deux premières étapes ont fait l’objet d’une étude du paysage comptable en Tunisie, réalisée en 1994.
La troisième étape a été réalisée par une étude de positionnement internationale (IASB, Etats-Unis, Canada, France et Maroc) qui a permis de dégager les méthodes comptables aptes à satisfaire les besoins des utilisateurs choisis.
Enfin, la dernière étape reflète le choix du normalisateur de ce que devrait être la comptabilité pour répondre aux besoins en informations comptables des utilisateurs.
La réforme s’est poursuivie en 2014 pour toucher le secteur public à travers la mise en place d’un organe normalisateur dont la vocation serait de construire le référentiel comptable de l’Etat, des collectivités locales ainsi que des établissements publics soumis au code de la comptabilité publique : le Conseil National des Normes des comptes publics (CNNCP).
2.4 – Présentation Générale de la réforme comptable
Le système comptable des entreprises a été développé dans une approche dynamique en deux principales composantes :
- Le système comptable des entreprises ;
- Les normes des comptes publics.
L’originalité de la réforme consiste à doter le système comptable Tunisien de deux cadres conceptuels qui serviront de base au processus général de normalisation. Chose qui permettra au système comptable d’être au diapason des réformes institutionnelles et des innovations technologiques et scientifiques.
III – Dispositif Tunisien de normalisation comptable
La normalisation comptable en Tunisie est assurée par deux organismes : le Conseil National de Comptabilité (CNC) et LE Conseil National des Normes des Comptes Publics (CNNCP).
3.1- Conseil National de Comptabilité (CNC)
Le CNC a été créé en 1975 par le décret N° 75-846 du 03-12-1975, sous l’appellation Conseil Supérieur de Comptabilité. Le CNC placé sous la tutelle du ministère des finances, est un organe consultatif qui assure une mission de coordination pour tous ce qui concerne les recherches théoriques en comptabilité ainsi que leur application pratique.
Jusqu’à la fin de l’année 1991, le CNC n’a publié aucun avis et aucune norme ou note : son existence était purement formelle. Ainsi, l’Ordre des Experts Comptables de Tunisie (OECT) a pris cette responsabilité pendant toute cette période en vue de garantir les intérêts de ses membres en mettant à leur disposition des normes comptables traitant de plusieurs thèmes.
Afin de réactiver et réorganiser l’organe officiel de normalisation comptable, le décret n° 1017 du 01 juillet 1991 lui a attribué la mission de préparation du système comptable des entreprises. Ensuite, en date du 22-02-1992, le ministère des finances a approuvé le règlement intérieur du CNC fixant ainsi les conditions de son fonctionnement et de son administration, ainsi que ses attributions.
Le CNC admet la composition suivante :
- Le Ministre des Finances ou son représentant en qualité de président ;
- Le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie ou son représentant en qualité de vice-président.
Et des membres suivants :
- Des représentants des ministères concernés par le domaine comptable (la présidence du gouvernement, le ministère de la justice, du développement économique, de l’enseignement supérieur…) ;
- Des représentants des organes de contrôle administratif (cour des comptes, le contrôle général des services publics, le contrôle général des finances) ;
- Des représentants des directions générales rattachées au ministère des finances ;
- Des représentant des organes et instances utilisant la comptabilité (la BVMT, l’INS, CMF, caisses de sécurité sociale, ATAI, FTUSA …) ;
- Des représentants de la profession (l’OECT, les techniciens en comptabilité, des professionnels travaillant dans les entreprises) ;
- Des professeurs universitaires de comptabilité ;
- Deux personnes désignées par le ministre des finances.
3.2- Conseil National de Normes des Comptes Publics (CNC)
L’Etat tunisien s’est engagé depuis quelques années dans un processus de réforme des finances publiques couvrant les trois axes majeurs de la gestion publique à savoir le budget, la performance et les comptes publics et se fixant comme objectifs essentiels la bonne gouvernance, la transparence et la redevabilité. Ainsi, à l’occasion de la loi des finances pour la gestion 2014, que le Conseil National des Normes des Comptes Publics (CNNCP) a été créé à travers la révision du code de la Comptabilité Publique.
Le conseil national des normes des comptes publics est un organe normatif placé sous l’autorité du ministre des finances ayant pour objectifs :
- d’établir des règles communes dans le double but d’uniformiser et de rationaliser la présentation des informations comptables au service des différents utilisateurs (parlementaires, bailleurs de fonds, citoyens…). Il contribue ainsi à l’harmonisation et à l’amélioration des pratiques comptables publiques ;
- d’aligner le système comptable des entités publiques sur les normes comptables internationales en vigueur pour le secteur public ;
- d’œuvrer pour la consolidation des données comptables relatives aux composantes du secteur public (Etat, établissements publics et collectivités locales) ;
- de contribuer à la démarche de certification des comptes de l’Etat et des structures publiques dans une logique de comptabilité.
Le Conseil National des Normes des Comptes Publics est présidé par le ministre des finances ou une personne déléguée par le ministre des finances ; Il comprend :
- Le comité du conseil ;
- Trois commissions permanentes ;
- Le secrétariat général.
IV- Système comptable Tunisien
4.1- Système comptable des entreprises
Le système de la comptabilité des entreprises est venu dans le cadre d’une loi ; c’est la loi n° 96-112 du 30 décembre 1996 relative au système comptable des entreprises. Ce système est composé d’un ensemble de règles que l’entreprise tunisienne doit observer pour la tenue de sa comptabilité et pour l’obtention d’informations synthétisées qui correspondrait aux besoins de tous les utilisateurs réels de ces informations.
Constituant un tout indissociable, le système comptable des entreprises est une série de composantes qui s’intègrent les unes aux autres pour former un ensemble structuré et cohérent. Ces composantes sont :
- Cadre conceptuel ;
- Norme générale ;
- Normes techniques ;
- Normes sectorielles.
Cadre Conceptuel de la comptabilité
Le cadre conceptuel comptable est approuvé par le décret n° 96-112 du 30 décembre 1996. L’article 6 de la loi n° 96-112 stipule : « Le cadre conceptuel de la comptabilité constitue un guide pour l’élaboration des normes comptables et leur interprétation, il sert de support pour le traitement des opérations relatives aux transactions de l’entreprise et des effets des évènements liés à son activité et n’ayant pas été traités par ces normes ».
Le cadre conceptuel de la comptabilité constitue une structure de référence théorique qui sert de support et de guide à l’élaboration des normes comptables et à leur application. Il comporte un ensemble d’objectifs, de concepts fondamentaux et d’éléments qui entretiennent entre eux des liens de cohérence et de complémentarité.
Il a pour objectifs d’aider à :
- L’élaboration de normes cohérentes pouvant faciliter la production de données et d’états financiers ;
- L’arbitrage en cas de divergence d’appréhension ou d’oppositions d’intérêts et la recherche de solutions appropriées ;
- L’interprétation des états financiers ;
- La résolution des questions comptables n’ayant pas été traitées par les normes.
Le Cadre Conceptuel de la Comptabilité précise :
- Les utilisateurs des états financiers et leurs besoins ;
- Les objectifs des états financiers ;
- Les caractéristiques qualitatives de l’information contenue dans les états financiers ;
- Les hypothèses sous-jacentes et les conventions comptables et les règles retenues pour l’élaboration des états financiers ;
- Les mécanismes de communication de l’information financière.
Normes Comptables
Les normes comptables sont approuvées par des arrêtés du ministre des finances. L’article 7 de la loi n° 96-112 stipule : « Les normes comptables comportent une norme comptable générale, des normes techniques et des normes sectorielles ».
Ainsi, le système comptable des entreprises s’articule autour d’une certaine hiérarchie admettant une structure logique et cohérente. Jusqu’au mois d’avril 2023, 45 normes comptables sont en vigueur.
Norme Comptable Générale (NC 01)
La Norme Comptable Générale NC 01, fixe la manière selon laquelle les états financiers sont présentés ainsi que les règles relatives à l’organisation comptable et la nomenclature des comptes et les règles de leur fonctionnement et ce afin d’atteindre les objectifs fixés par le Cadre Conceptuel de la Comptabilité.
N.B : Le système comptable des entreprises n’est plus un système à plan comptable mais plutôt à cadre conceptuel. En conséquence la nomenclature véhiculée par la norme comptable générale n’est qu’indicative. Le paragraphe premier de la troisième partie de la norme comptable générale stipule : « Cette partie de la norme comporte une nomenclature des comptes ainsi qu’une indication de leur fonctionnement général ».
Aux termes du paragraphe 2 de la troisième partie de la même norme, « Chaque entreprise adaptera la nomenclature proposée selon son statut et ses activités. Cette adaptation peut être faite en procédant aux regroupements appropriés ou en créant les comptes ou les subdivisions de comptes nécessaires pour imputer ses opérations ».
Normes Techniques
Les Normes techniques fixent les modalités de traitement des opérations découlant des transactions de l’entreprise et des effets des événements liés à son activité et ce par la détermination des règles de prise en compte de ces opérations, leur évaluation et leur divulgation dans les états financiers.
Les normes techniques actuellement en vigueur sont les suivantes :
- Capitaux propres (NC 02),
- Revenus (NC 03),
- Stocks (NC 04),
- Immobilisations corporelles (NC 05),
- Immobilisations incorporelles (NC 06),
- Placements (NC 07),
- Résultat net de l’exercice et éléments extraordinaires (NC 08),
- Contrats de construction (NC 09),
- Charges reportées (NC 10),
- Modifications comptables (NC 11),
- Subventions publiques (NC 12),
- Charges d’emprunt (NC 13),
- Eventualités et événements postérieurs à la date de clôture (NC 14),
- Opérations en monnaies étrangères (NC 15),
- Etats financiers intermédiaires (NC 19),
- Dépenses de recherche et de développement (NC 20),
- Etats financiers consolidés (NC 35),
- Participations dans les entreprises liées (NC 36),
- Participations dans les co-entreprises (NC 37),
- Regroupements des entreprises (NC 38),
- Informations sur les parties liées (NC 39),
- Contrats de location (NC41),
- Comptabilité simplifiée (NC42).
Normes Sectorielles
Les normes sectorielles fixent les modalités de traitement des opérations spécifiques à certains secteurs et qui découlent des transactions de l’entreprise et des événements liés à son activité. Ces traitements couvrent les règles de prise en compte, d’évaluation et de présentation des opérations afférentes aux secteurs ainsi que les règles de contrôle interne et d’organisation comptable spécifiques.
Les normes sectorielles actuellement en vigueur sont les suivantes :
- 3 normes comptables relatives aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) :
- Présentation des états financiers des OPCVM (NC16),
- Portefeuille titres dans les OPCVM (NC17),
- Contrôle interne et organisation comptable dans les OPCVM (NC 18).
- 5 normes comptables relatives aux établissements bancaires :
- Présentation des états financiers (NC 21),
- Contrôle interne et organisation comptable (NC 22),
- Opérations en devises (NC 23),
- Engagements et revenus y afférents (NC 24),
- Portefeuille- titres (NC 25).
- 6 normes comptables relatives aux entreprises d’assurance et de réassurance :
- Présentation des états financiers (NC 26),
- Contrôle interne et organisation comptable (NC 27),
- Revenus (NC 28),
- Provisions techniques (NC 29),
- Charges techniques (NC 30),
- Placements (NC 31).
- 3 normes relatives aux associations autorisées à accorder des micro- crédits :
- Présentation des états financiers (NC 32),
- Contrôle interne et organisation comptable (NC 33),
- Micro crédits et revenus y afférents (NC 34).
- 2 normes comptables relatives aux entreprises d’assurance Takaful et ou Rétakaful :
- Présentation des états financiers (NC 43),
- Contrôle interne et l’organisation comptable (NC 44).
- 2 normes relatives aux associations :
- Comptabilité des structures sportives privées (NC 40),
- Comptabilité des associations, parties politiques et aux autres organisations sans but lucratif (NC 45).
4.2- Normes IFRS
Par la décision de l’assemblée générale du Conseil National de la Comptabilité du 31/12/2021, les normes IFRS sont entrées en vigueur à compter du 01 janvier 2023 (avec possibilité d’application anticipée pour les années antérieures) pour les comptes consolidés des société cotées à la Bourse de Tunis et aux établissements financiers.
Dans le cadre de l’application anticipée, le Conseil du Marché Financier (CMF) a recommandé aux entreprises concernées de communiquer des informations décrivant l’impact de l’adoption des normes IFRS sur la situation financière et la performance du groupe pour les exercices 2021 et 2022.
4.3- Normes des comptes publics
Le dispositif normatif des comptes publics est approuvé par des arrêtés du ministre des finances. Jusqu’au mois d’avril 2023, ce dispositif se compose d’un cadre conceptuel et 12 normes comptables :
- Cadre conceptuel de l’information financière des entités su secteur public ;
- Normes des comptes de l’Etat :
- Présentation des états financiers (NCE01),
- Immobilisations corporelles (NCE02),
- Immobilisations financières (NCE03),
- Dettes financières et instruments financiers à terme (NCE04),
- Charges (NCE05),
- Créances (NCE06),
- Produits des opérations sans contrepartie directe (NCE07).
Normes des comptes des Collectivités locales :
- Présentation des états financiers (NCCL01),
- Immobilisations corporelles (NCCL02),
- Immobilisations financières (NCCL03),
- Dettes financières (NCCL04),
- Charges (NCCL05),
- Créances (NCCL06).